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« Kiffe kiffe hier ? », de Faïza Guène, Fayard, 270 p., 20,90 €, numérique 15 €.
Débité avec le sens de la vanne et le rythme d’un numéro de stand-up, Kiffe kiffe hier ? apparaît au fil des pages comme un dialogue entre un « je » et un « nous ». Le « je », c’est Doria. L’adolescente, élevée par sa mère dans la banlieue parisienne, a bien changé depuis le premier roman de Faïza Guène, Kiffe kiffe demain (Hachette, 2004). A 35 ans, la voilà coiffeuse, au chômage. Mère d’Adam, 7 ans, elle vient de quitter le père – Steve Morel, vendeur chez Darty, un Jurassien converti à l’islam, obsédé par l’accession à la propriété et les filles maghrébines. Doria vit toujours en Seine-Saint-Denis, à Bondy. Elle apprécie son célibat, mais craint que son fils ne vire macho. Elle ne reconnaît plus sa ville, transformée par des bobos arrogants.
Et si sa dégringolade épousait celle d’une certaine idée de la France, surgie en 2005, quand le ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, s’était rendu sur la dalle d’Argenteuil (Val-d’Oise) pour proposer de « débarrasser les braves gens de la racaille » ? L’hypothèse permet à Faïza Guène d’entrelacer l’« examen de conscience serein » de son héroïne avec celui de la République, vécu intime et mémoire collective. Ce dispositif, l’écrivaine le maîtrise pour l’avoir placé au cœur de ses fictions (dont Millénium Blues, Fayard, 2018, et La Discrétion, Plon, 2020).
Etait-ce mieux avant ? Quand les blagues racistes ne choquaient personne, quand on encourageait les jeunes des quartiers défavorisés à choisir des voies avec « débouchés », quand la notion de consentement n’existait pas ? Kiffe kiffe hier ? n’est pas que la réflexion grinçante et grisante d’une « rescapée du système scolaire ». C’est un supplément au roman national, qui dissèque une nostalgie ambiante mortifère.
Le « nous », chez Faïza Guène, désigne-t-il les femmes, les enfants d’immigrés ? Les Français musulmans, les Français nés dans les années 1980 ? Le peuple qui a fêté la Coupe du monde un soir de juillet 1998 ? Le roman ne tranche pas. Sa narratrice passe d’un « nous » à l’autre avec souplesse, créant chez son lecteur un sentiment d’appartenance. Ce faisant, elle observe le racisme de ses beaux-parents, l’échec de l’école de la République, la peur de l’islam, le culte de la réussite, l’emprise des réseaux sociaux.
On écoute Doria parce qu’elle est drôle avec ses invitations à la suivre sur Instagram (« @dorialamalice. N’hésitez pas à vous abonner les loulous »), parce qu’elle se moque d’être dans l’air du temps, parce qu’elle pose ce regard affectueux et taquin sur Rita, sa voisine catholique fidèle à la messe télévisée, comme sur Hamoudi, son vieil ami devenu complotiste. Si piquantes soient-elles, les anecdotes et les blagues de Doria ne suffiraient pas à la réussite de Kiffe kiffe hier ?. Faïza Guène crée une héroïne complexe, qui pense et vit contre toute attente. Pour elle, la romancière imagine une prose cathartique, dont la couleur et la vitesse varient selon les vagues formées par son humeur, ses souvenirs, son quotidien – tantôt facétieuse, tantôt mélancolique. Comment ne pas finir névrosée quand on porte un tel héritage, et tous ces petits mondes ? Faïza Guène semble interroger autant son héroïne que son pays. Le roman esquisse des réponses : en préférant la réalité à une vision déformée du passé. En assumant toutes les parts de soi. Si c’est douloureux, au moins ça aura fait le show.
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